la débrouille
Auto-formation, soutien et interventions pour groupes à désembrouiller ____________________________________________________________________________________
Voyage au TetraZbeul
Categories: General

Récit à 3 voix à la première personne d’une rencontre sur le soin dans les collectifs et les violences de genre

 

Ces rencontres sont organisées par des personnes qui se sont croisées, puis re-croisées, et ont constaté plusieurs fois des connivences dans leur militantisme. Ces personnes ne se connaissaient pas touxtes entre elles, et ont travaillé à distance, en faisant des visios. Elles ont écrit un mail d’invitation, puis un mail détaillant le cadre d’accueil, les outils mis en place.

Le weekend est autogéré, à la fois sur la vie collective et sur le planning. D’ailleurs, l’autogestion est bien plus cadrée sur la manière de se retrouver (le cadre de vie collective), que sur les échanges qui ont lieu. C’est ce que nous voulons vous raconter ici : des rencontres autour de l’idée de prendre soin des personnes dans nos luttes, qu’est-ce que ça peut donner? Quelles manières de faire, de communiquer, d’anticiper et de répondre à des besoins, d’accueillir les difficultés? Voici donc un petit parcours dans ces rencontres, pleines de soin. Et à travers cela, l’affirmation d’une manière de s’organiser.

 

Nous avons roulé toute la journée jeudi. Nous sommes arrivées très tard, avons installé des matelas dans la salle de vie collective, épuisées.

une vue panoramique d’une montagne traversée par une route

Vendredi

En se réveillant, on a découvert la vue sur la vallée, et aussi la charpente au-dessus de nos têtes, toute fraîche. Elle a été construite récemment, pour que ce lieu collectif accueille un espace d’expression. Cette grande pièce polyvalente contient une cuisine, et un parquet, magnifique, sur lequel seront parfois installés des tatamis, des coussins, des couvertures… En-dessous, une pièce est aménagée en dortoir. Un espace pour se changer est installé, et des draps tendus devant les matelas. Près de la porte d’entrée, des infokiosques et malles à bouquins sont mis à dispo, ainsi que les canaps propices à leur lecture.

 

A 10h30 a lieu un temps pour l’organisation, notamment matérielle. Nous sommes encore un petit groupe, le reste du groupe devrait arriver dans la soirée. Ensemble, il nous reste à anticiper ce qui permettra à ce weekend de se passer au mieux pour tout le monde. Il semblerait que la moitié du groupe actuellement présent était déjà sur place, et déjà en lien pour créer le cadre dans lequel nous arrivons. Nous sommes accueilli.es par des infos qui nous permettent de participer à la création d’un cadre accueillant.

 

Sur la proposition d’une personne, je vais à un rendez-vous à la lisière de la forêt pour lire une pièce de théâtre. L’initiateur.ice en est curieuxse, mais n’en a lu que la première scène. C’est une pièce qui parle de queerness, mais aussi de plein de sujets tabous, qui évoquent des actes et des relations violentes. Nous commençons par nommer nos triggers : quels sont les sujets qui sont sensibles pour chacun.e, et peuvent évoquer des blessures trop fragiles? Face à cela, on s’exprime de la confiance pour prendre soin de ce que cette lecture engendrerait. On parle aussi de notre rapport au théâtre : « Et si on faisait juste n’importe quoi? » On se met d’accord sur l’idée de ne pas de faire de commentaires non sollicités sur notre jeu. Et on lit le fameux texte. Il provoque des émotions, il aborde des choses très dures. On en discute : petit check-in de nos états, des endroits où on sent que ça coince… On se lève et on continue à discuter debout, en laissant nos corps se mouvoir comme ils veulent. On s’auto-masse, on respire fort, on s’étire… De la tension doit s’évacuer de nos corps. On choisit de faire un ninja, un jeu physiquement impliquant. Pour certaines personnes, ce n’est pas un exutoire suffisant. Et si on dansait ? On met de la musique, et c’est parti ! Finalement, nous nous offrons un espace d’évacuation de beaucoup de choses accumulées ! Cet espace de lâcher-prise est très bénéfique pour nous. Beaucoup plus que la lecture d’un texte chargé de violence, sur lequel nous ne reviendrons pas.

 

Un atelier sur le consentement est animé. C’est premier du weekend, il s’appelle « la fresque du consentement », et il a comme support des cartes. Il se déroule en trois étapes. Tout d’abord, nous étudions la validité du consentement, pour ensuite amorcer une réflexion sur les biais de consentement. Nous travaillons ensuite ensemble sur la mise en commun de plusieurs histoires vécues. Les exemples choisis peuvent l’être dans différents domaines de la vie : amical, familial, intime, professionnel ou militant, et extérieur (rencontres diverses). Le groupe que nous constituons souhaite se pencher particulièrement sur le travail militant. Cela nous permet notamment d’explorer la place du consentement dans nos manières de lutter, de s’organiser en collectif. Le lendemain, nous réitèrerons cet atelier pour approfondir ces réflexions, avec d’autres. Cela nous permettra de développer l’outil pour questionner la manière dont nous choisissons ou pas de prendre en charge du travail politique.

 

Une discussion a lieu sur les traces écrites de nos ateliers et échanges : prises de note, diffusion des compte-rendus, partage de ressources, etc. Un moment plein de rigueur et d’enthousiasme. Un ordre du jour, est constitué. Presque tout le monde prend des notes, mais pas de la même manière : numériquement, sous forme de schéma dans un carnet, sur un panneau pour partage au reste du groupe… Cela donne à chaque scribe l’occasion de reformuler les décisions que nous prenons, et les questions en suspens. Un binôme se constitue pour être référent des comptes-rendus des discussions du weekend, et permettre qu’ils soient diffusés à l’ensemble du groupe après. On écrit un protocole pour prendre des notes : on n’écrit pas les blazes, ni les noms de lieux. Pour la confidentialité des notes, on établi 3 niveaux : ce que nous ne partagerons que sous format papier, ce weekend ; ce que nous ne partagerons qu’entre nous, les personnes présentes au weekend, mais sous format numérique ; ce que nous acceptons de partager sur internet, à qui on souhaite.

 

Dans l’organisation de la vie collective, un outil a été pensé pour que chacun.e ait des repères affectifs dans ce grand groupe, et un espace d’expression, de débrief, de réconfort par exemple. L’idée est de constituer des petits groupes de 3 ou 4 personnes pour commencer le weekend, puis de proposer à chaque personne à son arrivée de rejoindre un groupe. Tous les groupes ont un premier temps pour se rencontrer, puis deviennent autonomes sur leur manière d’être en lien. Cet outil permet de se rencontrer, de se relier même si on ne connaissait personne en arrivant, et de se proposer des moments ensemble, pour se raconter comment ça va, comment on a dormi, c’était comment l’atelier, etc. Ce dispositif n’a pas empêché les sentiments de solitude, et tous les groupes n’ont pas réussi à se retrouver quotidiennement. Les rapprochement affinitaires ont eu lieu, et même s’il est important d’agir sur les structures formelles d’un groupe, personne ne peut empêcher l’existence d’une structure informelle (comme développé dans la brochure La tyrannie de l’absence de structure [https://infokiosques.net/spip.php?page=lire&id_article=2], auquel il a été fait référence lors d’un atelier).

une vue d’une vallée avec des montagnes en arrière-plan

Samedi

L’accueil des personnes arrivantes est pensé de deux manières. A notre arrivée jeudi soir, une personne nous a accueillies, nous a fait visiter l’endroit, et nous a invitées à lire les panneaux et affichages, concentrant toutes les informations. Mais des temps d’accueil collectifs étaient aussi prévus à différents moments, avant le démarrage des ateliers. Malheureusement, les arrivées perlées ont mis le bazar dans le planning, ce qui a mis l’équipe organisatrice dans une adaptation permanente pour pourvoir accueillir tout le monde. Chacun.e pouvait accueillir tout le monde, et ce rassemblement autogéré mettait en présence beaucoup d’inconnu.es.

 

Être accueillies, pour notre part, a consisté à nous proposer à boire, à manger, nous dire où poser nos affaires, et où l’on dormirait. Et la visite est venue aussitôt. Différents espaces ont été pensés pour faire attention aux sensibilités et multiples besoins (réels ou potentiels). Un barnum est prévu pour permettre des consommations d’alcool ou autres drogues, et un autre est pensé comme un espace sans drogue, et sans la présence de personnes à la conscience altérée par une substance. En-dehors, une demande de discrétion de ses consommations est formulée dès le mail d’invitation : l’objectif est de ne pas inciter à la consommation, sans pour autant faire ressentir de la honte à des personnes ayant développé des addictions. À l’entrée, un plan est dessiné avec ces différents espaces, la forêt, les WC, etc. Tout près, un tableau sous forme de planning où il est possible de mettre des post-it pour proposer un atelier. Également, l’indispensable tableau des tâches pour faire la cuisine, vider les WC, et tout le reste. La signalétique (toute la partie visuelle de l’organisation) permet de donner des informations à tout le monde, et donc de l’autonomie, du pouvoir d’agir.

 

Dans la matinée, j’anime un atelier sur les troubles de la conduite alimentaire (TCA : anorexie, boulimie, hyperphagie…) Ce temps d’une heure se déroule avec un but : mettre en lumière quelques outils pour mieux vivre ce weekend en collectif. A l’issu de la discussion, le groupe a décidé qu’il était judicieux de ne pas mettre la nourriture servant de goûter à vue. Ne trouvant pas de solution par nous-même pour organiser cela, nous avons décidé de mettre un petit mot dans la « boîte à trucs », dont le contenu est lu lors de la Criée.

 

La Criée a lieu tous les jours, c’est le moment où la totalité du groupe est rassemblée, et où des paroles peuvent être dites à tout le monde. Pour s’y exprimer, trois possibilités : écrire un mot dans la boîte à caca, spécialisée dans la réception de paroles désagréables (critiques, râlages, gueulantes) ; écrire un mot dans la boîte à trucs, qui permet de dire ce qu’on veut ; prendre la parole directement après la lecture des mots des boîtes. La boîte à caca, pour permettre une utilisation anonyme, a été posée dans les toilettes. Au début de chaque criée, un personne lit les mots, et des réactions sont possibles.

 

L’après-midi, plusieurs ateliers ont lieu : échange sur les protocoles de gestion des VSS (violences sexistes et sexuelles), gestion de conflits, un atelier pratique sur l’expression du consentement ou du refus, un autre atelier autour de la thématique du consentement mais plutôt appliqué au contexte du travail militant… Beaucoup de choses méritent d’être partagées par toutes ces personnes qui développent de multiples pratiques pour que chacun.e trouve une place dans les espaces de lutte, et pour que les collectifs ne soient pas des espaces où se (re)produisent les mêmes violences que dans les espaces non politisés. Le constat de la nécessité de ces rencontres est partagé intensément par chacun.e, et le weekend ne suffira pas à apaiser nos solitudes dans nos engagements. Mais il ouvrira une possibilité de lien entre le réseau que nous créons, ou plutôt que nous formalisons lors de ces rencontres.

montagne brumeuse couverte d'herbe

Dimanche

Lors de ce weekend de soin, nous n’avons pas oublié nos corps. Nous avons pris le soleil, et nous avons dansé, offert des massages, fait de l’acroyoga, de la bagarre, des jeux, des balades… Concernant la danse, elle était évidemment présente samedi soir, sous forme de boom. Mais un atelier a également été proposé, pour se connecter à soi, et au dehors, à la forêt. L’acroyoga aussi était accompagné, avec de la transmission pour accéder à ces jeux d’équilibre à deux, qui demandent de partager de la confiance, de communiquer clairement, de se détendre, de se soutenir (au sens propre de porter de poids de l’autre). La présence de ces activités n’était donc ni anodine ni accessoire : ce groupe a bel et bien affirmé que nous avions des corps, et ce malgré la sur-valorisation de l’intellectualité dans la société, dans la culture du travail, et donc également dans le milieu militant.

 

Nous avons des corps, et nous avons des émotions. Aurions-nous pu vivre ce weekend sans penser leur place ? Un outil a été proposé : des équipes de soin. Dans le tableau « auto-gestion », un roulement d’une permanence de 2 personnes était prévu, pour prendre soin de qui en avait besoin. Ce binôme était sollicitable pour de l’écoute, de tout type. Les personnes qui en soutiennent d’autres ont besoin elles-aussi d’écoute. Soutenir une personne qui déprime, faciliter une médiation de conflit, accompagner des transformations d’organisation collective, de comportement, ou gérer l’exclusion d’une personne d’un espace, demande énormément d’énergie émotionnelle. Pour faire ce type de travail de soin, il parait primordial de chercher à faire attention à soi-même là-dedans, notamment en demandant de l’aide, du réconfort, un regard extérieur, du relais… C’est ce type de rapport au soin, solidaire, que nous cherchons collectivement à développer ici.

 

Dimanche après-midi, quelques personnes ont du prendre la route, et la question de la clôture s’est posée. Une criée : est-ce suffisant ? Comment échanger sur ce qui a été vécu ? Qu’est-ce qu’on se dit pour avoir une chance de se revoir, et continuer le travail ? Après quelques expressions personnelles lors de la Criée, un consensus est trouvé autour de l’idée de prendre un moment de bilan, cadré, animé, et avant les prochains départs. Nous constituons un binôme pour cela, et allons chercher des outils d’éducation populaire pour faciliter l’expression de chacun.e. Des ressentis sont exprimés, des critiques sont formulées, et reçues. Mais la critique, ça agite, ça émeut, ça questionne, et ça donne envie d’en faire quelque chose, surtout quand on en prend la responsabilité… Nous terminons sur ce qu’on souhaiterais pour une prochaine fois, et sur les conditions techniques pour rester en lien.

Nous rentrons à Rennes, pleines de reconnaissance pour les personnes qui ont initié l’organisation de ce weekend, boostées par ces rencontres qui nous ont gonflée le cœur, ces échanges qui nous ont fait pétiller les neurones. Rechargées à bloc, le trajet en voiture est l’occasion de rêver à l’organisation des prochaines rencontres… On en veut encore !!

Ressources

Voilà le lien dans lequel on trouve une partie des documents qui nous ont nourri au TetraZbeul

Comments are closed.